Les maladies non transmissibles (MNTs), telles que les maladies cardio-vasculaires (48%), les cancers (21%), les maladies respiratoires chroniques (12%) et le diabète (3.5%), sont de loin la principale cause de mortalité dans le monde, représentant 63% de tous les décès. Contrairement à ce qui est couramment imaginé, 80% (29 mio) des décès dus aux maladies chroniques surviennent dans les pays à ressources limitées. L’accroissement de la population mondiale couplée à l’augmentation de l’espérance de vie va conduire, dans les années à venir, à une augmentation des décès par maladie non transmissible. Globalement, la charge des MNTs va augmenter de 17% dans les 10 prochaines années et de 27% dans la région africaine, réalisant ainsi un défi sanitaire majeur. Ce changement rapide de profil sanitaire a un impact négatif considérable sur la réduction de la pauvreté et sur le développement économique. Les régions à ressources limitées luttant actuellement contre le lourd fardeau des maladies infectieuses risquent de se retrouver submergées par cette vague de MNTs largement évitables. Les systèmes de santé des pays les moins avancés sont souvent conçus pour répondre à des problèmes aigus de santé et restent démunis face aux MNTs. L’aide étrangère, qui représente des proportions considérables des budgets de santé dans de nombreux pays sub-sahariens, est principalement destinée aux maladies infectieuses ainsi qu’à la santé materno-infantile [1]. En mai 2013, les ministres de la santé du monde entier ont approuvé à l’unanimité le Plan d’action global de l’OMS pour la prévention et le contrôle des maladies non-transmissibles pour 2013-2020. Ce dernier appelle les états à « Elaborer et mettre en œuvre une politique de soins palliatifs utilisant des modalités de traitement économique, notamment des analgésiques opioïdes pour le soulagement de la douleur, ainsi que la formation de personnels de santé » [2].
Ces constatations vont évidemment à l’encontre de l’imagerie de l’action des ONG humanitaires en santé qui a plutôt tendance à alimenter notre imaginaire par des actions basées exclusivement sur le curatif et l’urgence à court terme. Les experts en marketing « humanitaire » vous démontreront aisément que soigner des personnes qui souffrent de maladies chroniques potentiellement mortelles n’est pas porteur alors que transmettre un message qui vous fait croire que grâce à votre don vous allez sauver des vies est éminemment et cyniquement plus « rentable » pour la récolte de fonds.
Malheureusement entre le fantasme des « guérisseurs humanitaires » du Nord et la réalité des malades du Sud il existe plus qu’une image floue qui nous renvoie une fausse représentation. En Afrique Sub-Saharienne par exemple, l’accès aux soins de santé basé sur l’aspect curatif est non seulement fragile, mais également très aléatoire. Dans des contextes où les ressources à disposition sont limitées et les barrières à l’accès aux soins nombreuses, ceux qui ne peuvent pas être guéris se retrouvent exclus du système et renvoyés chez eux. Les chiffres le montrent, les maladies non transmissibles, au même titre que les épidémies, ne s’arrêtent pas aux frontières. Les moyens d’y faire face restent très limités et les soins palliatifs peu développés. Selon un rapport de l’ONG Human Rights Watch (2011) « 60% des personnes qui meurent chaque année dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires, soit le chiffre impressionnant de 33 millions de personnes, ont besoin de soins palliatifs » et « plus de 3,5 millions de personnes atteintes d’un cancer ou du sida au stade terminal meurent chaque année sans traitement antalgique adéquat » [3]. Les enfants sont parmi les grands perdant de cette funeste loterie.
Ce constat est d’autant plus douloureux que les soins palliatifs peuvent être proposés à un coût relativement faible et à tous les niveaux du système de santé, y compris dans les communautés rurales. L’Ouganda et le Rwanda par exemple, ont mis en place des services de soins palliatifs à domicile avec du sirop de morphine et du personnel infirmier travaillant en rotation dans les zones rurales. Seulement six pays d’Afrique sub-saharienne (Kenya, Rwanda, Afrique du Sud, Swaziland, Tanzanie et Ouganda) ont intégré les soins palliatifs à leurs plans de santé nationaux.
Sollicitée par des professionnels de la République Démocratique du Congo, du Togo, du Cameroun, du Burundi, de la Palestine, ou encore du Nicaragua, Médecins du Monde Suisse, avec la collaboration de Réseau francophone de soins palliatifs pédiatriques, s’engage à proposer un programme pour améliorer l’accès aux soins palliatifs pédiatriques des populations vulnérables dans les pays du Sud. Dans un esprit de collaboration, les premières étapes du projet visent à créer une plateforme d’échanges entre les professionnels du Sud et du Nord par l’entremise entre autres outils du site du RFSPP.
Pour éviter de transposer une approche « occidentale » médico colonialiste des soins palliatifs pédiatriques, conscient de l’importance du contexte ethno-socio-culturel des différentes régions d’intervention, Médecins du Monde-Suisse avec l’Université de Lausanne en collaboration avec le Centre d’excellence en soins palliatifs pédiatriques du CHU Ste Justine de Montréal, va mener dès 2015 une recherche anthropologique visant à comprendre les représentations entourant la fin de vie de l’enfant et des rituels liés au deuil. En parallèle, une formation organisée avec l’association congolaise Palliafamilli et le premier colloque en soins palliatifs pédiatriques auront lieu en avril 2015 à Kinshasa.
Notre but ultime, pour assurer la pérennité de la formation, sera de créer en collaboration avec la faculté de médecine de Kinshasa, un diplôme universitaire ouvert aux professionnels de la santé de l’Afrique francophone.
Pr Nago Humbert, Valérie Clerc
[1] Dambisa Moyo, « Why Foreigh Ai dis Hurting Africa ». The Wall Street Journal, 21 mars 2009.
[2] OMS / Plan d’action global pour la prévention et le contrôle des maladies non-transmissibles pour 2013-210 / 2013.
[3] Human Rights Watch, 2011, « Global State of Pain Treatment. Access to Palliative Care as a Human Right»,p.8-