Depuis plus de dix ans le développement constant des soins palliatifs pédiatriques contredit notre questionnement initial sur leur pertinence en tant qu’entité propre. En effet, l’enfant n’étant pas un adulte en miniature, la spécificité de la prise en charge des enfants et des adolescents n’est plus à démontrer et le tabou de l’éventualité de sa mort, même dans nos sociétés occidentales, n’est plus un obstacle à l’introduction des soins palliatifs dans le scénario d’une maladie potentielle mortelle.
Nous restons par ailleurs persuadé qu’ils ne doivent pas devenir une spécialité de la médecine et des soins de santé prodigués par tous les soignants qui un jour font face à un petit patient dont ils ne peuvent plus guérir la maladie, mais dont ils doivent maintenant soigner tous les symptômes y compris ceux de l’âme.
D’ailleurs la multiplicité des formations ouvertes à tous les professionnels de la santé, les divers colloques, la place que les soins palliatifs pédiatriques prend dans les congrès adultes, l’intérêt pour notre congrès international de Montréal, le seul exclusivement consacré à la pédiatrie, et le développement du site du réseau francophone en soins palliatifs pédiatriques sont la démonstration de l’évolution des mentalités des soignants dans ce nouveau champ médical.
Nous le répétons souvent, la pédagogie doit être au centre de la démarche en soins palliatifs pédiatriques en commençant dès les premières années des études de médecine, puis lors de nos interventions cliniques dans nos institutions ou à domicile. C’est pourquoi le choix de ne pas ouvrir d’unité géographique de lit de soins palliatifs participe à cette pédagogie. En effet en travaillant en appui des équipes traitantes, non seulement nous évitons l’écueil de l’effet d’abandon du malade qu’on ne peut pas guérir, mais aussi celui de la non transmission des connaissances. Sans parler de l’aberration de priver le patient et son entourage d’une équipe traitante souvent interdisciplinaire qu’ils connaissent parfois depuis des années comme en hémato oncologie ou en neurologie.
Nous nous permettrons ici une petite digression politique concernant une menace qui, si elle se réalise, pourrait mettre en danger cette pédagogie et notre conception des soins palliatifs non seulement en pédiatrie, mais également en médecine adulte.
Le ministre de la santé du Québec, considérant les soins palliatifs comme une philosophie et non faisant partie du domaine clinique, pense qu’ils doivent être exclus des CHU pour les cantonner dans des maisons privées. Pour simplifier sa pensée et la caricaturer quelque peu : l’hôpital public universitaire veut bien tenter de vous guérir, mais s’il échoue, allez donc mourir dans une maison privée dirigée par une fondation qui sollicitera peut être votre entourage à participer à des levées de fonds en vendant des tablettes de chocolat pour pouvoir payer ceux qui vous soigneront.
Nous avons rappelé à ce brillant esprit, médecin de formation, que dans CHU il y a U comme universitaire et par conséquent le CH avait pour vocation entre autres missions de former les futurs médecins.
Cette petite parenthèse pour nous souvenir que rien n’est jamais acquis même dans un mouvement irrémédiable de progression, comme en politique la réaction n’est jamais très loin.
La preuve de cette évolution des soins palliatifs pédiatriques se manifeste également aujourd’hui par l’importance de la recherche dans ce domaine qui était encore un grand désert il y a seulement quelques années. En témoignent les nombreux abstracts reçus par le comité scientifique du 5ème congrès international de Montréal qui aura lieu cet automne.
Environ une vingtaine a été retenue pour une communication, il y en avait 5 en 2009.
Un autre développement significatif a jalonné ces dix dernières années. En parallèle à la création d’équipes de consultation intra et extra hospitalières, la définition même des bénéficiaires de soins palliatifs pédiatriques a évolué. Identifiée au départ principalement à l’hémato-oncologie elle a tranquillement englobé la neurologie, la néonatologie, les services de réanimation, la cardiologie, la pneumologie, la néphrologie, l’obstétrique ( mortinaissances et avortements), la génétique et même la dermatologie (épidermolyse bulleuse) Notre unité est représentative de cette évolution puisque de 85% au début de son existence les consultations en hémato-oncologie représentent aujourd’hui seulement la moitié de notre activité. Pour résumer cette classification quelque peu austère, nous pourrions simplifier la liste en écrivant que chaque enfant, y compris ceux à naître, atteint d’une maladie potentiellement mortelle devrait pouvoir bénéficier de soins palliatifs qu’il survive ou non à sa maladie.
Une des spécificités revendiquée par les soins palliatifs pédiatriques est la prise en charge non seulement du patient, mais également de son entourage, parfois même s’il ne voit pas le jour (mortinaissance ou interruption de grossesse du troisième trimestre). Des études menées par notre centre de recherche ont démontré les effets collatéraux, pour utiliser un langage militaire, sur la fratrie et les grands-parents par exemple. D’autres recherches devront répondre aux besoins des parents après le décès de leur enfant, notamment à propos de cette auberge espagnole qu’on nomme le suivi de deuil. Un autre champ d’investigation devra comprendre également la souffrance des soignants.
En attendant nous vous invitons à venir partager vos expériences au prochain congrès de Montréal, les 4, 5 et 6 octobre 2012 qui abordera, entre autres sujets, les thèmes du suivi de deuil, des soins palliatifs en néonatologie, des soins palliatifs en obstétrique et des limites des soins palliatifs à domicile.
Et pour conclure nous crierons, avec un brin de dérision et d’humour, comme chaque année lors de la soirée de Noël de notre unité au moment de porter un toast : ʺLongue vie aux soins palliatifs pédiatriquesʺ.
Pr Nago Humbert
Directeur de l’Unité de consultation en soins palliatifs pédiatriques, CHU Sainte-Justine Montréal
Président du réseau francophone de soins palliatifs pédiatriques