La mort d’un enfant est un drame, le plus affreux des drames pour ses parents qui ont, le plus souvent, le sentiment de perdre la meilleure partie d’eux mêmes. C’est un arrachement, comme une amputation. Ils le vivent avec un profond sentiment d’injustice et une culpabilité sans fond. Tous les deuils importants entraînent des bouleversements et des transformations; la mort de l’enfant plonge dans le non sens.
Pourtant aussi cruelle qu’elle puisse être, la mort est une réalité objective incontournable qui se moque bien de nos sentiments de justice et d’injustice et qui peut atteindre tout être vivant quel que soit son âge. Mais il est dans l’ordre habituel des choses qu’elle touche les personnes âgées. La mort de l’enfant brise ce cycle de la vie que nous considérons comme normal parce qu’il est habituel et, heureusement, de très loin. Déjà nous n’acceptons pas si facilement la mort des personnes âgées lorsqu’elles nous sont proches, que nous les aimons et que nous aimerions pouvoir les garder encore quelques années. Nous comprendrons mieux le scandale de la mort d’un enfant si nous reprenons bien conscience que nous avons beaucoup de mal à accepter la mort quelle qu’elle soit lorsqu’elle nous concerne. Il est naturel de vouloir y échapper. Aussi sommes-nous habituellement ébranlés lorsqu’elle s’approche. Alors un enfant !
Du fait que la mort des enfants était jadis très fréquente, qu’elle pourrait frapper la moitié de fratries qui étaient souvent nombreuses à l’époque il était banal d’entendre dire que le deuil en était facile ou même inexistant. De nombreux documents montrent le contraire. Mais le lien, la relation entre les parents et les enfants n’étaient pas ceux que nous connaissons actuellement. Dans les milieux aisés les enfants n’étaient pas élevés par leurs parents; dans les familles pauvres ils étaient une force de travail. La vie humaine n’avait pas la même valeur; elle était plus facilement perdue. Aussi la mort était-elle considérée comme plus naturelle parce que plus fréquente et celle des enfants également.
C’est donc bien la nature et la profondeur de l’attachement qui est à la source du deuil. Les enfants étant aujourd’hui ce que nous avons de plus précieux, leur mort est devenue atroce. Quelle est la nature profonde de ce lien : étrange question tant il paraît naturel! Et pourtant, si nous dépassons nos réticences, nous connaissons des parents qui n’aiment pas leurs enfants, des parents qui ne les ont pas investis. Là ce n’est pas la mort qui est scandaleuse c’est cet état de fait : des enfants qui ont des parents mais qui sont orphelins d’amour. Qui alors en fera le deuil s’ils viennent à mourir? Ceux qui s’en sont occupés. Car, si la mort de l’enfant touche en premier lieu ses parents, elle est loin de laisser indifférents ceux qui se sont occupés de lui : ses soignants, ses enseignants, les amis de son âge et leurs familles. La mort d’un enfant est un drame collectif!
Le deuil reste un sujet difficile et même encore tabou dans le discours social officiel. Mais il commence à être davantage connu du fait des nombreuses associations bénévoles qui s’engagent dans cet accompagnement – et certaines sont particulièrement destinées aux parents frappés par la mort de leur enfant – et par les nombreux ouvrages, en particulier de témoignage, qui paraissent actuellement sur ce sujet.
Il est évident que la mort d’un enfant est un deuil le plus difficile quel que soit l’âge de l’enfant, même si la mort des tout petits serre le coeur encore plus. Mais qui dit deuil difficile ne dit pas pour autant, comme on l’entend malheureusement si souvent, deuil compliqué, voire pathologique. Certes plus un deuil est difficile plus il est en risque de complications en raison surtout des fragilités antérieures de la personne en deuil et des fonctions que cette relation brisée assurait. Aussi est-il tout à fait naturel et habituel qu’un deuil très difficile dure des années même s’il ne se complique pas.
Comme tous les deuils il connaît une période de choc puis une longue période de dépression avant d’arriver au rétablissement; comme tous les deuils et sans doute encore plus il se vit dans la difficulté à accepter la réalité de la mort et dans le désir éperdu de conserver celui qui n’est plus. La particularité du deuil d’un enfant se trouve dans les sentiments de culpabilité. Quelle que soit la richesse de leur amour, tout le mal qu’ils se sont donnés pour lui, leur permanence dans l’accompagnement jusqu’au dernier moment, les parents se sentent coupables de la mort de leur enfant. Ils trouveront bien quelque détail pour fonder leur défaillance et s’en morfondre. Auraient-ils été parfaits qu’ils se sentiraient encore coupables : ils ont fait naître un enfant pour la vie, pas pour la mort : ils ont donc, dans leur esprit, failli à leur mission!
Plutôt que de parler du deuil des parents, il serait préférable de parler du deuil de la mère, du deuil du père, du deuil des frères et soeurs qui ont si souvent le sentiment d’être les oubliés. La douleur de la maman est poignante, celle du père moins apparente et ce n’est qu’au fil des mois, voire de années, qu’il se découvre combien il est touché alors que les frères et soeurs font tout pour masquer la leur.
Scandaleuse! Injuste! la mort d’un enfant? Le deuil qui en est toujours difficile lorsqu’il était aimé a besoin d’être accompagné et pas seulement par la famille : certains professionnels savent le faire, les bénévoles des associations sont formés pour cela !
Michel HANUS †