20 ans de soins palliatifs pédiatriques, « un doute m’étreint »
Nago Humbert
Vingt ans représente l’âge adulte et par conséquent l’autonomie du bébé qu’on a conçu et l’enfant qu’on a élevé. Mais que reste-t-il de l’éducation que nous lui avons prodiguée, quelles furent nos erreurs et quels constats faisons-nous pour concevoir un avenir pour lui ? Pour résumer mon propos : les soins palliatifs pédiatriques ont-ils un avenir ?
Pour comprendre le présent, il faut toujours connaître le passé et donc la genèse de notre intérêt pour les soins palliatifs pédiatriques.
Au-delà de nos propres traumatismes douloureux, qui regardent la psychanalyse, et nos expériences hospitalières, c’est avant tout la douleur et la souffrance des enfants qui nous ont tracé le chemin. En effet, il y a plus de 20 ans plusieurs recherches ont démontré que les enfants étaient, de façon significative, moins soulagés que les adultes.
Ensuite, au-delà du traitement de la douleur et malgré les progrès et toute la technologie médicale, nous avons été confrontés à ce qui représentait encore un tabou dans nos sociétés occidentales du Nord : la mort de l’enfant.
Paradoxalement, c’est une réalité que nous tolérons dans les pays du Sud parce qu’elle est banalisée ( 5 millions d’enfants meurent avant l’âge de 5 ans (la majorité en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud Est).
Ce constat nous a poussés à nous interroger sur la façon dont cheminaient, au milieu du monde médical, ces petits patient que l’on ne pouvait pas guérir, mais que nous devions continuer de soigner.
Et surtout nous devions comprendre ses besoins et ceux de sa famille et définir cette nouvelle réalité : les soins palliatifs pédiatriques :
Nous avons alors planché sur une définition dans le cadre du groupe de travail sur les Normes en matière de soins palliatifs pédiatriques du Ministère de la Santé du Gouvernement du Québec :
« Les soins palliatifs pédiatriques sont des soins actifs et complets, englobant les dimensions physique, psychologique, sociale et spirituelle. Le but des soins palliatifs est d’aider à maintenir la meilleure qualité de vie possible à l’enfant et d’offrir du soutien à sa famille ; cela inclut le soulagement des symptômes de l’enfant, des services de répit pour la famille et des soins jusqu’au moment du décès et durant la période de deuil. Le suivi de deuil fait partie des soins palliatifs, quelle que soit la cause du décès, ce qui inclut les traumatismes et les pertes dans la période périnatale ». (1)
Avec quelques années de recul, lorsque nous relisons cette définition, nous avons le sentiment d’avoir réinventé la roue. En effet, pourquoi un enfant doit-il être en soins palliatifs pour pouvoir bénéficier de soins complets et actifs, englobant les dimensions physique, psychologique, sociale et spirituelle. D’où mon malaise vis-à-vis des « spécialistes en soins palliatifs pédiatriques » car finalement cette définition représente simplement ce que devrait être la prise en charge d’un enfant malade en pédiatrie quel que soit son diagnostic et que sa maladie soit curable ou incurable.
Nous sommes chaque fois interloqués lorsque nous entendons cette phrase : « Nous sommes navrés, on a fait tout ce qu’on a pu sur le plan médical, maintenant on va s’occuper du confort de votre enfant ». Parce que le confort du petit patient ne commence que lorsqu’on ne peut plus le guérir et que le « plan médical » a échoué? Drôle de conception de la médecine, qui exclut les soins de confort!
Alors qu’avons-nous apporté de spécifique et d’original lors de ces dernières années pour le développement de ce type de prise en charge?
Tout d’abord nous avons démontré que les soins palliatifs pédiatriques avaient une spécificité parce que les enfants ne sont pas des adultes en miniature et par conséquent qu’on ne vit pas la maladie chronique ou la perspective de la mort de la même manière à 2 mois, à 8 ans, lors de l’adolescence ou à 80 ans.
Ensuite que les soins palliatifs pédiatriques peuvent commencer très tôt suite à un diagnostic d’une maladie potentiellement mortelle et par conséquent ne correspondent pas, comme encore trop souvent en médecine adulte, à la phase terminale et qu’ils sont encore trop souvent associés à l’oncologie, alors qu’ils recouvrent des pathologies plus vastes, notamment neurologiques ou génétiques.
Et finalement nous avons porté notre intérêt sur ceux, outre les parents, qui paient un lourd tribut à la maladie et la mort d’un enfant : les frères et sœurs et les grands-parents.
Enfin nous avons produit un nombre important de protocoles pharmacologiques de soin dont l’objectif est toujours le soulagement des souffrances de l’enfant. Ceux-ci restent des outils importants, mais nous devons rester vigilants afin de ne pas perdre notre humanité en nous abritant derrière des algorithmes qui ne sécurisent que nous-mêmes. Car comme nous le répétons sans cesse aux étudiants en médecine : le principal outil de soin ce n’est votre » Ipad », l’EEG, l’ECG, le scanner, l’IRM ou les multiples examens microbiologiques…) mais vous. Car si votre patient ne devient pas votre partenaire grâce à vos qualités relationnelles et humaines, vous avez déjà perdu un élément primordial du traitement : l’adhésion à la thérapie basée sur la confiance mutuelle.
Une autre qualité qui doit constamment nous inspirer dans la pratique des soins palliatifs pédiatriques est le doute, car les certitudes dans ce domaine nous entrainent dans la rigidité mentale, car quand la médecine ne comprend pas, elle ne soigne plus, elle juge.
Enfin, depuis plus de 20 ans nous cherchons la meilleure façon de prodiguer ce serpent de mer qu’est le suivi de deuil et nos conclusions sont empreintes par des doutes de plus en plus prégnants.
En fait, après avoir écouté des centaines de parents, de fratries, de grands-parents, nous sommes arrivés à la conclusion que » faire le deuil d’un enfant » était une vue de l’esprit parce que c’est simplement impossible. Pour citer Jacques Brel : »On n’oublie rien de rien, on s’habitue, c’est tout ».
Par conséquent, nous devons adapter à chaque situation la meilleure approche possible en respectant le rythme de chacun, sa culture (la mort d’un enfant n’as pas le même sens en Europe, en Amérique du Nord ou en Afrique), son histoire personnelle jonchée de traumatismes biographiques, sa religion ou sa spiritualité, sans oublier son contexte social. Des groupes de parole, du soutien individuel, des cérémonies commémoratives ou toutes sortes de rituels bricolés, conséquence de la disparition du religieux dans nos sociétés occidentales, pourquoi pas, en nous rappelant simplement que « protocoler » le deuil est aussi ridicule et inefficace que « protocoler » la mort.
En conclusion, en étant un peu provocateur, nous dirions que le succès ultime des soins palliatifs pédiatriques est leur disparition parce que tous les soignants se seront approprié leur philosophie.
Quant à nous, nous pensons que leur avenir est avant tout leur développement dans les pays dit du Sud où, selon l’OMS 98% des enfants atteints d’une maladie potentiellement mortelle n’ont pas accès aux soins palliatifs et en premier lieu à une antalgie de base.
C’est notre devoir de solidarité contre ce crime contre l’humanité : 5 millions d’enfants décèdent dans la souffrance et les douleurs, alors que nous avons les moyens de soulager la plupart d’entre elles. C’est une des raisons qui nous a décidé d’organiser le prochain congrès du RFSPP à Yaoundé au Cameroun en automne 2020.
Pr. Nago Humbert
Président du Réseau Francophone de Soins palliatifs pédiatriques
Professeur agrégé, département de pédiatrie, faculté de médecine, Université de Montréal